J’ai toute la série (10 jeux sortis actuellement). A Distant Plain est le troisième opus de la série (sorti en 2012 contre 2011 pour Andean Abyss) et il vient rajouter plus d’imbrication entre les factions quand les deux premiers (Andean Abyys et Cuba Libre) avaient une construction très carrée. En plus il est assez facile de faire un parallèle - en terme de mécanismes - entre les cartels de la drogue colombiens et les chefs de guerre cultivant le pavot en Afghanistan. Ils ont aussi en commun d’avoir Volko Rühnke au générique, ce qui n’est pas le cas de la totalité de la gamme.
Pour ceux qui ne savent pas, Volko a créé le système COIN qui signifie « COunter INsurgencies » qu’on peut traduire par « contre insurrection » en français. Le gars est fan de wargame mais aussi analyste pour la CIA et aime bien modéliser les conflits. Il s’est fait connaître avec le jeu Labyrinth : the War on Terror en 2010 qui est un peu une version « le patriot act de G. Bush vs Al Quaeda » de Twilight Struggle (je simplifie avec la subtilité d’un tractopelle,). Le jeu avait fait déclenché une belle shitstorm à sa sortie sur BGG en raison du peu de recul entre les attentats du 11 septembre et la mise en cartes avec illustrations tirées de CNN des événements traités.
La série COIN est venue ensuite avec la volonté de mettre en relief des conflits asymétriques entre un pouvoir en place et plusieurs factions d’insurgés, chacune avec ses propres objectifs. Pour chaque jeu, Volko est soit créateur, soit co-créateur soit regarde de loin et laisse juste GMT mettre son tampon.
Revenons à a Distant Plain et ce qui le rendait à sa sortie très différent des 2 premiers.
Les 4 factions en présence sont :
- le Gouvernement afghan de Karzai, soutenu avec de l’aide internationale en intraveineuse
- la coalition internationale que par raccourcis on a tendance à appeler « les Américains »
- les Talibans avec leurs bases arrière au Pakistan
- les chefs de guerre qui veulent voir prospérer la culture du pavot
Grande nouveauté : on n’a pas une faction COIN mais 2. Le gouvernement afghan et les américains unissent leurs forces pour contrôler les territoires et peuvent même faire des actions communes (déplacement de troupes, rafles, assauts, recrutement de troupes locales). Détail amusant : l’américain n’a pas de ressources pour payer ses actions. Soit il agit avec ses propres troupes gratuitement, soit il agit de concert avec les troupes afghanes et dans ce cas là, il utilise les ressources du gouvernement… sans lui demander son avis, ce qui peut être source de conflit entre ces deux « alliés ».
Le fait que l’auteur soit américain et analyste pour la CIA pourrait agir comme repoussoir en laissant penser à des jeux très manichéens avec les gentils américains. En fait la force de ces jeux est justement de mettre en avant les zones grises et les intérêts parfois flous des belligérants.
Dans a Distant Plain, l’objectif de l’américain et d’obtenir un certain score en additionnant la population afghane qui soutient le changement de régime/l’intervention et le nombre de ses troupes en réserve. Cela signifie que plus il déploie de troupes sur la map, plus il ampute ses points de victoire en faisant face à une opinion publique qui n’aime pas voir ses soldats revenir à la maison dans des sacs plastiques et dépenser de l’argent pour les guerres si loin qu’on ne sait pas les placer sur une carte.
De son côté, le gouvernement afghan calcule ses points en additionnant la population dans des zones contrôlées par les factions COIN (gouvernement afghan + américains) et un score de « patronage » correspondant à des petits billets qu’on donne à certains pour que tout se passe bien parce que vous voyez… ici en Afghanistan, on a pas l’habitude de la démocratie donc il faut motiver les gens. Ce score de patronage, le gouvernement le monte en piquant dans l’aide internationale. Ce qu’il ne peut pas faire si l’américain maintient une présence dans les villes… et donc doit garder ses troupes sur place… en amputant ses points de victoire et en aidant le gouvernement afghan à occuper le terrain.
On a également énormément de cynisme dans la manière dont a été modélisée la récolte du pavot. La faction des chefs de guerre a une partie de son objectif qui consiste à amasser énormément de ressources principalement en récoltant dans ses champs. Il peut le faire uniquement dans des zones sans américain. Il peut s’il y a les troupes du gouvernement ? oui oui. S’il récolte dans une zone sous contrôle taliban, le Taliban gagne également des revenus. S’il récolte en zone contrôlée par le gouvernement, le gouvernement gagne du patronage. Le choix des zones de plantations des prochains champs est donc très complexe. Ajoutons à ça que le gouvernement peut détruire les champs et gagner à ce titre un gros boost d’aide internationale au titre de la lutte contre le trafic de drogue. Autant le faire dans les zones talibanes dans ce cas là pas vrai ? Oui ça préserve une partie du revenu ponctionné par la police locale qui ferme les yeux mais la destruction d’un champ en zone talibane provoque l’apparition d’une guerilla talibane au titre que les locaux se voient privés de leur gagne-pain.
Chaque jeu sorti par la suite apporte un ou plusieurs nouveaux mécanismes qui le rend différent des autres opus de la gamme (jeu à 2 en Algérie, jeu à 3 en Finlande en 1917, Français qui commence hors de la carte pendant la guerre d’indépendance américaine en attendant que l’Anglais soit suffisamment affaibli, factions non violentes pour la décolonisation de l’Inde, etc…).
On a tourné une vidéo de présentation de la gamme avec un exemple d’un tour de jeu pour un Monde de Jeux. Je vous dirai quand ça sort.