Excellente question @patman, et c’est l’un des points que je m’étais promis de développer ce week-end (mais le temps m’a manqué !). Du coup, puisque tu m’en donnes l’occasion, je vais vous donner le point de vue du juriste, et en quoi, selon moi, le discours des associations féministes démontrent une méconnaissance totale de la loi.
Allez, commençons par une phrase choc ; le consentement, on s’en fout !
…
Oui, oui, vous avez bien lu !
Pour le quidam (rien de péjoratif), pour les militant(e)s féministes, et même pour moi lorsque je me suis lancé dans cette matière si particulière, le viol (et l’agression sexuelle) est quelque chose d’assez simple ; un acte sexuel auquel la victime n’a pas consenti. Vision un peu chevaleresque qui veut que si elle ou il a dit « non », alors le crime ou le délit est constitué.
Or, la justice n’a que faire de cette question. Il suffit de lire le(s) texte(s).
Art. 222-23 du Code Pénal : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. »
Art. 222-22 du Code Pénal : « Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ou, dans les cas prévus par la loi, commise sur un mineur par un majeur. »
Je ne vais pas m’attarder sur la spécificité de la victime mineur (qui apporte quelques exceptions à la loi générale). De même que je vais parler plus génériquement de viol mais considérez que ce qui suit s’applique également à l’agression sexuelle.
Or donc, comme vous pouvez le voir, à aucun moment, dans la définition même des articles qui répriment ces infractions, le mot consentement n’apparait. En vérité, la notion primordiale à retenir est celle de la contrainte. Et c’est là tout le débat !
Dans notre système pénal, il faut trois éléments pour constituer une infraction :
- L’élément légal,
- L’élément matériel,
- L’élément moral.
L’élément légal, vous l’avez ! Le fait doit être prévu et réprimé par la loi ; c’est bien le cas du viol et de l’agression sexuelle qui sont inscrits dans nos textes.
L’élément matériel, c’est l’acte en lui-même. Pour le viol, il implique un acte de pénétration de nature sexuelle (à noter que la loi d’avril 2021 a étendu la notion de pénétration de sorte que l’auteur puisse être poursuivi qu’il pénètre ou force quelqu’un à le pénétrer). Pour l’agression sexuelle, tout autre acte de nature sexuelle à l’exclusion des pénétrations (ce qui offre un panel assez large allant de la main au fesse dans les transports en commun aux préliminaires non suivi de pénétration).
A dire vrai, l’élément matériel est rarement discuté. Il y a tout d’abord l’aide importante de la médecine légale en la matière. Il est très rare que l’auteur des faits nie le rapport sexuel en lui-même car en général, c’est un élément relativement facile à démontrer sauf dans les cas qui remontent à plusieurs années. Pour l’anecdote, j’ai une fois confondu un auteur qui niait avoir touché la victime en effectuant simplement une analyse ADN du pantalon de cette dernière. Recherche positive ; autant dire que tout ce que pouvait dire l’auteur après cela était complètement décrédibilisé.
Donc véritablement, l’élément matériel n’est vraiment pas le plus compliqué à établir.
Reste l’élément moral, et c’est là où, comme souvent lorsque l’on travaille « sur » de l’humain, cela devient complexe.
Comme je vous le disais, la notion primordiale dans les affaires de moeurs, c’est la contrainte. Vous aurez noté que l’article parle explicitement de « violence » (relativement facile à démontrer), de « menace » (déjà plus subjectif !), de « surprise » (on évoquera ici l’usage de drogues par exemple, ou simplement de quelqu’un qui profiterait du sommeil de la victime pour l’abuser), et, histoire de fermer un maximum de portes, de « contrainte ».
La contrainte n’est pas clairement définie dans le texte (on voit ici la volonté du législateur d’englober des cas qui ne correspondraient aux grandes catégories précédentes puisque pour rappel, si ce n’est pas prévu dans le texte, alors ce n’est pas interdit !). On peut toutefois aller chercher du côté des causes d’irresponsabilité pénale (art. 122-2 du Code Pénal) qui prévoit que « n’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister ». Il faut donc établir cette notion de force irrépressible.
Cas concret : soirée entre ados (oui, je sais, c’est assez récurent dans ce genre de dossier !), alcool, tout le monde va se coucher, et une jeune fille se retrouve dans le même lit que le garçon qui lui a tourné autour toute la soirée. Il veut, elle veut pas. Ca discute, et finalement la jeune fille finit par quitter le lit pour se réfugier aux toilettes sans qu’il ne se soit rien passer. Et au bout de 20 minutes, alors qu’il y a d’autres couchages dans la maison, d’autres chambres, des personnes vers lesquelles se tourner (dont l’hôtesse qui est une amie de la victime), elle retourne finalement se coucher à côté du garçon qui a envie d’une relation avec elle. Le rapport se fait… et la jeune femme dépose plainte pour viol.
Qu’en penser ? Les associations féministes vous diront que c’est un viol puisque l’adolescente ne voulait pas ce rapport. Mais le garçon n’a pas utilisé de violence. Il n’a pas menacé. La surprise ? Il avait clairement énoncé son intention (ah les hormones !) et sauf à démontrer qu’il avait volontairement alcoolisé sa victime pour abuser d’elle (ce qui aurait pu se faire mais aucun témoignage n’allait en ce sens). Reste la contrainte, mais comment la matérialiser ? Le simple fait que la jeune fille ait pu quitter le lit, s’absenter pendant 20 minutes, et soit retournée volontairement se coucher à côté de son agresseur met à mal l’existence d’une quelconque contrainte.
Je ne vous surprendrai pas en vous annonçant que le Procureur a classé cette affaire.
Au final, on a une jeune fille qui se sentira probablement victime toute sa vie, un garçon qui a passé 48 heures en garde à vue avec le risque de finir 15 ans en prison, et des féministes qui pointeront probablement du doigt le supposé laxisme de la justice. Sauf que… on parle de viol, de crime, donc de Cours d’Assise, ce qui implique de convaincre de la culpabilité de cet homme trois magistrats professionnels et six jurés populaires. Pensez-vous vraiment qu’un dossier pareil aurait eu une issue favorable entre deux meurtres et un viol crapuleux ?
Autre chose, quelques messages plus haut, j’évoquais le fait que la procédure pénale n’avait pas vocation à être réparatrice. Là encore, je sais que cela peut choquer mais c’est pourtant inscrit clairement dans les textes ; la mission de la police judiciaire, sous la direction du Procureur de la République, est de constater les infractions, d’en établir les preuves et d’en rechercher les auteurs. Vous noterez qu’il n’y a pas un mot pour la victime !
Comme j’avais pour habitude de le dire à mes victimes ; la police et la justice ne sont pas de votre côté ! Normal, elles ne sont pas là pour ça ! Ces institutions représentent la société et les lois de la République. Quand un Procureur (un Avocat Général aux Assises) fait son réquisitoire, il ne le fait pas pour obtenir une réparation pour la victime mais bien pour faire condamner un individu qui a enfreint les lois de la République dont il est le représentant.
Dès lors, vous vous doutez bien que si un magistrat n’est pas convaincu qu’il a une chance de faire condamner quelqu’un qu’il estime coupable, il ne va pas aller se faire « démolir » au tribunal par un avocat de la défense un brin agressif !
On peut trouver cela triste, mais c’est ainsi que fonctionne notre système judiciaire. Donc si il y a le moindre doute sur la contrainte qui aurait pu être exercée sur la victime au moment des faits, il est probable qu’il n’y aura pas de procès, ou que si il y en a un, le mis en cause soit relaxé. Typiquement, dans l’affaire Darmanin qui a fait grand bruit médiatiquement, la justice a estimé que la contrainte n’était pas caractérisée dans le sens où la victime avait toute latitude pour refuser la faveur sexuelle demandé par le ministre en échange de son intervention. Bien évidemment, moralement, c’est contestable (j’y reviendrai en conclusion !), mais dans les faits il n’y a pas, selon moi, d’erreur de droit.
Dernier petit point sur lequel j’aimerai m’attarder.
L’élément moral implique la volonté de l’auteur de commettre un acte délictueux, c’est à dire sa conscience qu’il commet un crime ou un délit. D’où le fameux adage « nul n’est censé ignoré la loi » qui évite quelques arguties du genre « mais je ne savais pas que c’était interdit ! ».
Dans le cas d’un viol crapuleux (qui est, pour rappel et cela a été dit plus haut extrêmement rare statistiquement parlant), il n’y a pas trop de questions à se poser ; un auteur qui « avoine » la victime pour abuser d’elle ou qui glisse dans son verre une pilule de GHB ne peut nier son intention criminelle (enfin si, il peut le nier, mais cela a peut de chance de faire effet !).
Mais dans le cas de la zone grise évoquée par @zythum. Que doit-on penser de la victime qui se « laisse faire » parce qu’après tout, c’est son copain et qu’il a insisté, mais qui « dans sa tête disait non » ? Que doit-on penser de la victime qui va accepter le rapport et qui au final, peut-être parce qu’elle a des regrets, finit par dire « non » en plein coït ? Que penser de la victime qui s’adonne au BDSM avec son conjoint depuis des années mais qui va trouver que c’est allé trop loin lors d’une séance particulière ?
Je précise que tous ces cas sont tirés de faits réels sur lesquels j’ai travaillé.
Vous l’aurez je l’espère compris à l’issue de cette (longue) démonstration ; les affaires de viols et/ou d’agressions sexuelles sont extrêmement complexes à démêler dans la majorité des cas. La victime innocente qui rentre chez elle et se fait tomber dessus par un prédateur sexuel est un fait divers retentissant et est pourtant extrêmement marginal (pour vous donner un ordre d’idée, en 16 ans dans la matière, j’ai dû avoir trois dossiers de cette nature ; tous identifiés -parfois avec de la chance !- et condamnés). La très grande majorité des dossiers de moeurs se situent malheureusement dans cette « zone grise », terreau plutôt favorable aux mis en cause puisque notre système pénal repose sur la présomption d’innocence.
Voilà pourquoi « tant de viols » sont classés @rebentis, et voilà pourquoi j’estime que les associations féministes répandent un message biaisé en pointant du doigt le chiffre sans autre forme d’explication.
Pour terminer sur quelque chose de plus positif ; parler avec les victimes est essentiel, c’est un fait, mais ne pas leur mentir l’est tout autant. Quand vous expliquez pourquoi aux yeux de la loi les faits qu’elle a subi ne constitue pas un viol ou une agression, elles sont en mesure de comprendre le message. Ou au moins de ne pas attendre une issue favorable à leur démarche. D’ailleurs, souvent, quand je leur demande ce qu’elles attendent de la procédure, la réponse qui revient le plus régulièrement ce n’est pas tant que l’auteur soit condamné mais plutôt qu’il comprenne qu’il s’est mal comporté et que cela « a fait du mal » à la victime. Et comme j’ai coutume de dire à celles et ceux qui viennent avec cette idée en tête ; il y a des comportements qui sont moralement répréhensibles, mais cela n’en fait pas pour autant des coupables aux yeux de la loi !