Après trois parties j’ai décidé de parler un peu de La Quête de l’El Dorado, de Reiner Knizia. C’est un jeu sorti en 2019 et réédité par Ravensburger cette année.
Je ne sais pas si c’est le lieu mais c’est autant un compte-rendu des trois parties qu’une analyse critique du jeu. Je mets les infos qui ne concernent pas le gameplay en spoiler, sinon ça va être long. Ne vous sentez pas obligé de les ouvrir !
Contexte et disclaimer
Je précise que j’ai toujours un a priori positif sur les jeux de Knizia. Je n’ai quasiment jamais été déçu. Certains de ses jeux ne me plaisent pas mais je ne les ai jamais trouvé mauvais. Donc j’ai probablement un biais au moment où je découvre le jeu.
Déçu par Clank!, DC Comics (toute la gamme, je crois que j’ai testé toutes les boîtes), Hero Realms et Star Realms (à 3+), Dominion, Imperium, etc… j’aborde le jeu dans un contexte où je cherche depuis plusieurs mois le « deckbuilding parfait » pour jouer à plus de deux en versus en gardant l’esprit que je donneau DB (= accessible, fluide, dynamique).
Donc j’attaque donc la (les) partie(s) avec par mal d’exigences sur la mécanique du jeu, tout en ayant un a priori positif vu l’auteur
Le topo :
- 2 à 4 joueurs (j’ai toujours joué à 4)
- 30 à 45 min de parties (j’en ai fait 3, jamais plus de 45 minutes)
- Principe : il s’agit d’une course avec pour principale (unique?) mécanique le deckbuilding.
- But du jeu : atteindre l’El Dorado, une case située au bout d’une (longue) piste, avant les autres joueurs.

(photo : Ludovox, mais c’était bien la piste jouée lors de ma dernière partie)
La plupart des cartes ont des symboles pagaies, machettes ou pièces (dans l’exemple au dessus, l’éclaireur a donc 2 machettes, l’aventurière permet de choisir entre les trois options). Les autres sont des cartes avec des effets spéciaux (le compas permet de piocher 3 cartes puis est détruit). Résumé des règles
Un tour se décompose ainsi :
- Je commence mon tour avec 4 cartes en main, je peux me déplacer d’une case en jouant une carte dont le symbole permet d’aller sur la case. Il existe 5 types de cases sur lesquelles on peut se déplacer : les cases jungles, qui nécessitent des machettes, rivières (qui demandent des pagaies), des cases qui demandent des pièces d’or, d’autre de défausser une carte (donc peu importe les symboles sur la carte) et d’autres de détruire des cartes (l’un des moyens d’épurer son deck). Règles clefs : il est impossible d’aller sur la case où se trouve le pion d’un autre joueur ET le premier joueur a atteindre une des 5 dalles en plus de la première doit se débarrasser d’une barrière (= case supplémentaire) avant, les barrières ralentissent donc le premier mais départagent les égalités.
- Puis la fin de mon tour je peux acheter une carte avec les cartes qu’il me reste en main : les cartes pièces augmentent mon achat de leur valeur (une aventurière donne par exemple 2 d’achat) et les autres cartes donnent une demi pièce. Donc s’il me reste en main une aventurière et deux cartes (pagaie et machette par exemple), j’ai 3 d’achat.
A noter que le jeu propose un mix entre pile et rivière pour le marché : il y a six piles disponibles (composées de trois cartes identiques chacune) et une quinzaine, inaccessibles, à côté du marché. Lorsqu’une pile est vide, le joueur suivant PEUT acheter une des quinze autres options, auquel cas les deux cartes restantes (puisqu’il en a acheté une sur les trois) viennent sur l’emplacement vide, bloquant à nouveau les piles qui ne font pas partie du marché.
- Il est possible de conserver des cartes en main à la fin du tour, puis je pioche jusqu’à avoir 4 cartes en main.
J’ai testé plusieurs stratégies, en voici deux :
- durant ma dernière partie, j’ai cherché à épurer au maximum mon deck, pour qu’il soit extremement fonctionnel. Ainsi j’ai détruit (en faisant des aller-retour sur des cases de destruction et en achetant des cartes pour détruire) toutes les cartes de départ. Je termine avec 6 cartes, dont deux cartes de pioches. J’étais donc sûr d’avoir toutes mes cartes actives à chaque tour !
Au moment où mon deck commence à être « parfait » selon mes critères, je m’élance dans la course alors que je n’étais qu’à la deuxième dalle sur 6 (cf photo). La personne en tête vient d’atteindre la 5ème dalle.
J’avance très vite, je fais plus d’une demi-dalle par tour mais ça n’est pas suffisant : la gagnante atteint la dernière case alors que je suis à deux cases derrière elle ! Mon deck était certes fonctionnel pour traverser le terrain, mais il s’agit d’une course et j’ai eu tendance à l’oublier…
- lors de ma première partie je n’ai détruit aucune carte (pas l’opportunité de le faire) et je n’ai acheté que quelques cartes car pas les finances : toutes mes cartes « pièces » m’ont servit à avancer et je n’avais quasiment jamais de quoi acheter une nouvelle carte. En tout, je crois avoir acheté 3 ou 4 cartes dans la partie. Mais cela me permet d’avancer constamment, même si je dois faire des détours car je n’ai pas de quoi traverser les « grosses » cases (qui nécessitent 2 à 4 symboles identiques). Un adversaire me rattrape après avoir construit un deck plus performant et nous terminons la course le même tour. Toutefois, le fait d’avoir été en tête toute la partie m’a amené à récupérer toutes les barrières. Je gagne donc grâce à ce départage des égalités.
Bilan après trois parties : graphiquement et thématiquement, je trouve le jeu fade. Et c’est bien là le seul défaut que je lui trouve. Mécaniquement, le jeu prend tout ce que je trouve bon dans les DB en évitant les écueils classiques (voir plus bas). Il est fluide, facile à comprendre (les règles sont expliquées en 5 minutes, on est sur un vrai easy to learn), et il faut sans cesse réfléchir au trajet que l’on va suivre, réajuster selon la pioche et l’emplacement des pions adverses, choisir/équilibrer entre avancée et achat de cartes, car plus j’utilise de cartes pour avancer, moins j’en ai de dispo pour acheter et inversement (donc à mon sens, hard to master).
Par ailleurs, avec 6 propositions de plateaux, et une extension inclue, le jeu propose une excellente rejouabilité. Sur BGG, un fan a proposé pas moins de 70 cartes de plus (sûrement avec des trucs à prendre et d’autres à laisser). Et la règle donne des conseils pour faire ses tracés maison.
Pour rappel, je n’ai testé que la config 4 joueurs. A 2 joueurs, chacun doit amener deux pions (au lieu d’un seul) au bout de la piste, donc je pense que les sensations sont assez proches. A 3, ça me semble a priori moins bien : moins d’option de blocage, et avec trois cartes dans chaque pile, il n’est pas impossible que l’on se « copie » nos decks. A voir.
Liste des écueils qu’El Dorado esquive à merveille :
Ecueil 1 : les tours à vide
C’est ce qui peut me frustrer dans certains DB (notamment DC Comics et son tour 1 à 2 d’achat - soit 0 options - ou Clank! et ses tours à 0 ou 1 pas parce que tu as pioché comme une merde). On alterne des tours OK et des tours à vide, avec parfois un tour de fou.
Ici, pas de tour à vide. Si vous avancez, vous n’achèterez probablement rien mais vous vous approcherez de l’objectif, de la victoire. Si vous n’avancez pas, alors vous augmentez vos options d’achats, ce qui vous permettra de faire des tours explosifs plus tard. Et tout le mix entre ces deux extrêmes. Je ne vois aucun cas de figure où vous ne faites rien de votre tour.
Ecueil 2 : le card stacking
L’objectif est clair : atteindre l’une des trois dernières cases du plateau. Cet objectif invite à construire son deck en fonction de cet objectif et du parcours proposé : est-ce que je vais plutôt acheter des machettes ? est-ce qu’il me faut de quoi travers des cases de 3/4 symboles ? est-ce qu’il y a un raccourci avec de l’eau mais une seule fois, auquel cas une carte pagaie qui s’auto-détruit semble indiquée ?
Vous allez faire des choix logiques, cohérents, dans vos achats. En tout cas, si vous le faites vous serez récompensé. Sinon, vous serez punis, j’ai pu le vérifier lors d’une partie où un joueur a acheté une carte qui lui a servit une fois puis a « pourri » son deck.
C’est infiniment plus raccord avec ma vision du DB qu’un système de point de victoire sur les cartes (coucou DC Comics) qui nous invite davantage à acheter et empiler des cartes (parce que c’est comme ça que l’on gagne) qu’à construire un deck.
Ecueil 3 : le win to win
Sans doute l’un des défauts les plus courants dans les DB. Habituellement si vous êtes le premier à faire un gros tour, vous êtes le premier à accéder aux meilleures cartes, donc à les utiliser, donc à nouveau à accéder aux meilleures cartes… bref, le win to win qui fait que l’on pense connaître le vainqueur à la moitié de la partie dans bien des DB.
Ici, celui qui prend de l’avance est ralenti par des barrières ET s’il avance, c’est probablement qu’il n’améliore pas ou peu son deck puisqu’il lui reste peu d’achat à la fin de ses tours. Les joueurs suivants ont une case de moins à franchir et améliorent probablement davantage leur deck en attedant.
Mais ce n’est pas punitif pour autant puisque les barrières départagent les égalités. L’une des parties que je gagne est due à ça : un de mes adversaire fini avec un super deck et me rattrape mais il n’avait aucune chance de gagner en cas d’égalité, ce qu’il s’est passé.
Ecueil 4 : le jeu joue et tu le regardes faire
Dans El Dorado, il n’y a pas de tour « tout fait ». Des tours où vous avez 3 d’achats avec une seule carte dispo à 3. Ou des tours où votre main ne vous permet de faire qu’une chose.
Ici vous avez forcément des choix à faire, le jeu est rempli de décisions micro (utiliser une carte pour avancer ou acheter) et macro (planifier un trajet et acheter les cartes adaptées à ce plan).
Ecueil 5 : on lance et on se retrouve dans 30 minutes ?
Je n’aime pas trop les DB dont l’interaction se limite au fait qu’une carte que j’achète n’est plus dispo pour les autres. On lance la partie, chacun joue dans son coin, et on fait le point à la fin.
La règle (pourtant toute simple) qui dit qu’une case occupée par un pion ne peut pas être traversée permet d’avoir une interaction que je trouve saine (on ne peut pas bloquer pour le plaisir indéfiniment sinon on ruine sa propre partie). Par ailleurs, le fait que chaque carte achetable n’existe qu’en trois exemplaires permet de contrer plus facilement le deck building des adversaires
(maxi pavé malgré les balises spoilers, veuillez m’excuser)