(Note : ce qui suit est long et pas forcément pertinent par rapport à la discussion en cours. N’hésite pas à passer directement au post suivant, ami lecteur qui ne t’appelle pas @patman… )
Non, c’est pas un secret, mais il faut amha distinguer deux choses : ce qu’on peut faire et ce qu’on aime faire. Personnellement, dans mon domaine (les JV, et avant ça, les JdR et les romans), je peux tout faire s’il le faut, mais les jeux de sport, c’est vraiment pas mon truc, par exemple. Il m’est arrivé d’en faire parce que j’avais un trou dans le planning, mais en ce qui me concerne, un jeu de football américain, de boxe ou de catch, c’est un peu la purge absolue.
Après, il y a amha deux choses faisant que certains traducteurs ne sont pas adaptés à certains jobs : le niveau de langage et les traductions très spécialisées.
Pour ce qui est du niveau de langage, ça se retrouve aussi dans la traduction littéraire, principalement au niveau des dialogues, où certains traducteurs peuvent par exemple avoir du mal à donner une personnalité propre au locuteur, et tous leurs personnages vont s’exprimer de la même manière (par exemple, « Si nous y allions ? » / « On y va ? » / « Bon, on se bouge ? » veulent dire la même chose mais dénotent des registres de langage bien distincts et ne peuvent théoriquement pas se retrouver dans la bouche de n’importe quel personnage).
Dans ma petite équipe d’une douzaine de traducteurs (je gère le FR pour une boîte de loc), certains sont par exemple mal à l’aise dès qu’il s’agit de faire l’élision de la négation ou d’utiliser « on » plutôt que « nous », et en fantasy, leurs orques vont avoir tendance à trop bien parler. À l’inverse, d’autres se lâchent un peu trop quand il y a des grossièretés dans l’anglais et les reproduisent à l’identique en français, alors que ça passe nettement moins bien en FR, surtout à l’écrit (bon, sauf quand tu fais parler des militaires, bien sûr ).
Pour ce qui est de la spécialisation, ce sont souvent les jeux de types simulation qui peuvent poser problème. Par exemple, une simul de SF utilisant un vocabulaire scientifique assez poussé, un jeu de sniper dans lequel il va falloir retrouver le nom exact de toutes les pièces des armes, des types de munitions, etc. Il y a quelque temps, on a par exemple hérité d’un jeu de simulation d’hélicoptère de combat, et le planning étant ce qu’il était (délais courts comme d’hab, d’autres projets en parallèle comme d’hab), je n’ai pas pu m’en occuper seul. J’ai donc demandé deux volontaires, et ça a été silence de mort dans la salle. Au final, deux gars ont fini par lever timidement la main (ces dames étaient habilement parties très, très loin ou avaient prétexté diverses obligations pour se désister ), mais même eux n’avaient pas d’expérience en la matière, et on a dû commencer par une réunion virtuelle sur la façon de traduire des communications radio militaires afin de parer au plus pressé (l’identifiant, le vouvoiement systématique, comment traduire « roger » (pas Rabbit ), quand utiliser « à vous » ou « terminé », même quand l’anglais se goure, etc.), vu qu’il y en avait partout dans le texte. Et ensuite, il y a eu l’interface et tous ses termes techniques…
Autrement dit, j’ai des traducteurs dont la sensibilité correspond parfaitement aux jeux choupinous pour enfants, et beaucoup moins à du Judge Dredd (ou l’inverse, lol). Et même si tout le monde a tendance à se bousculer pour en être quand on reçoit un gros RPG d’heroic fantasy, en fonction du style employé ou des thèmes abordés, il vaut mieux en éviter certains, sans quoi la relectrice aura un sacré surcroît de boulot. Sur les gros projets, on pose bien évidemment les bases dans un guide de style afin que tout le monde soit bien sur la même longueur d’ondes, mais même avec des instructions précises, le naturel de certains revient vite au galop.
Mais pour en revenir à ta question initiale, changer de genre en permanence, c’est justement ce qui me plaît dans le JV, et une des raisons pour lesquelles j’ai lâché la trad littéraire pour passer au JV (un paradoxe alors que beaucoup de mes collègues rêvent de pouvoir un jour faire l’inverse, je sais). Passer de la fantasy à la SF, du polar au jeu d’aventure et ainsi de suite, c’est mon truc, j’avoue.