Et puisqu’on est chez Torii, comme expliqué en fin de règles (https://drive.google.com/file/d/1uHB5caRmP83YitxBByXscHa47oyw1aOx/view), nous avons poussé le bouchon très loin en terme de crédibilité.
Cela faisait longtemps que je souhaitais illustrer la culture japonaise mais en évitant une approche trop exotique de carte postale ou trop fantasmée image d’Épinal :
Pour la petite histoire - et je ne crois pas que ce fut traduit en français - le jeu est quasi fini depuis l’été 2018… Nous avions commencé à en parler autour de nous quand, aux US, il y a eu quelques commentaires sur le thème et les illustrations qui nous ont surpris. De potentiels backers s’inquiétant d’une éventuelle « appropriation » de la culture japonaise.
Dans le sens où on aurait choisi le Japon par pur marketing parce que c’est toujours à la mode, que ça fait kawaï, que ça fait vendre, etc. Allant même jusqu’à une interprétation politique et diplomatique de la chose (genre « culture dominante qui vient exploiter une culture dominée », « un jeu sur le Japon exclusivement réalisé par des occidentaux blancs », etc). Ouch, ce fut rude.
Alors on peut penser ce qu’on veut de la sensibilité des américains sur ces sujets-là (c’est un autre débat), toujours est-il que ça pouvait réellement poser problème et que ça existe et qu’il faut faire avec (et ce, même si les détracteurs peuvent vite devenir les plus fervents défenseurs une fois convaincus du bien fondé de notre démarche).
Nous avons donc décidé de repousser la campagne et de poser à plat tout ce qui avait été fait. Eduardo a alors fait des recherches supplémentaires et a contacté Lisa Wilcut, spécialiste de la culture et de l’histoire japonaises, pour tout vérifier. L’idée n’étant pas de faire un jeu documentaire mais plutôt de s’assurer qu’on avait juste.
Tout d’abord Lisa a été épaté par ce que j’avais déjà fait (hop quelques fleurs pour ma pomme ^^). Ensuite elle a soulevé quelques incohérences par rapport aux différents types de jardins japonais, aux objets que l’on peut y trouver, à certaines coutumes et traditions. Heureusement rien de dramatique ni insurmontable. Rien de détectable par des joueurs occidentaux, rien de terriblement dommageable pour les joueurs japonais ou connaisseurs, mais des détails, des nuances, des petits ajouts.
J’ai donc repris quelques éléments dans ce sens pour un ensemble plus complet avec une meilleure cohésion. Et ensuite on s’est dit que ce serait dommage de ne pas faire profiter de toutes ces nouvelles connaissances à nos backers et nous avons ajouté quelques feuillets au livret de règles, écrits par Lisa, pour des pages sur le Japon, ses jardins, les personnages rencontrés dans le jeu, les objets bien spécifiques.
Là où j’étais « super-excited » comme disent les américains, c’est qu’on avait déjà bien bossé, très loin de la caricature, ça fonctionnait déjà bien mais que sans pouvoir s’en rendre compte, on plafonnait. Avec Lisa dans la boucle, ça nous a permis d’aller encore plus loin dans le développement du thème et des illustrations, en faisant passer l’ensemble à un stade supérieur, bien soigné et encore plus méticuleux que je n’avais pas envisagé.
Sans avoir à le signaler en avance, les reviewers US n’ont pas manqué de le souligner dans les articles et vidéos, ça a fait mouche.
Et petit paradoxe par rapport à mes aspirations du début de projet, on atteint finalement une vision « exotique » du jardin japonais mais plutôt par rapport aux jeux pouvant s’y rapporter. Avec dans Torii, des éléments bien typiques comme les pierres Sekimori Ishi, les Statues d’Inari ou encore un personnage féminin de samouraï. Je pense et espère qu’on arrive ainsi à sortir des sentiers battus et qu’on peut même y apprendre quelques trucs au passage.
A vrai dire, travailler de manière aussi pointue devrait être la norme… Par respect pour le sujet traité et par respect pour les joueurs qui jouent avec ensuite. Mais comme d’hab, pour les éditeurs, c’est parfois et souvent complexe à faire tenir dans l’équation temps/argent/énergie…
C’est là qu’on sourit en coin quand on voit des éditeurs chevaliers blancs se plaindre et pester parce que leurs jeux ne passent pas auprès de certains publics ou certains territoires, surtout quand on fait des indiens aux nez carrés à la peau bien rouge ou des noirs en slip léopards avec des grosses bouches et des os dans le nez…
Et au plaisir de se croiser ici ou là et de discuter de vive voix ^^