Depuis quelques semaines, je joue à Mythwind avec ma compagne.
Il s’agit d’un jeu coopératif en campagne, annoncé sur la boîte de 2 à 4 joueurs (5 avec une extension, et en réalité jouable solo comme annoncé lors de la campagne).
Il a été financé à hauteur de 1 340 000 dollars canadiens en octobre 2021. Livraison prévue en décembre 2022, effective en février/mars 2024.
DISCLAIMER SUR LE SPOIL
Je ne divulguerai rien qui se trouve sur les cartes Evènements (l’histoire du jeu) ou dans les 4 enveloppes. Toutefois j’aborderai le contenu visible à l’ouverture du jeu : fonctionnement des personnages, des bâtiments, du village… durant les 7 premières parties du jeu. Ce qui peut nuire au plaisir de la découverte.
KS = promesses !
Qu’est-ce que Mythwind pouvait bien promettre pour atteindre une telle somme ?
Je vous offre la traduction (Deepl) de l’image ci-dessous :
- Un monde persistent : chaque session de Mythwind a un impact sur le monde et la progression du joueur. Les choix et les progrès réalisés au cours de chaque session de jeu auront un impact sur le monde et se répercuteront sur les sessions suivantes.
- Personnages asymétriques : les joueurs choisissent un personnage qui contribue de manière unique à la vie de la ville
- Construction coopérative de la ville : l’histoire se déroule de manière unique en fonction du type de ville que vous créez et des aventures dans lesquelles vous vous embarquez. Les joueurs apportent des ressources et travaillent ensemble pour construire leur propre ville.
- Narration émergente : l’histoire se développe organiquement en fonction du type de ville que vous créez et des aventures dans lesquelles vous vous embarquez.
- Drop in & out play (j’ai pas traduit c’était honteux) : la ville et les personnages progressent indépendamment l’un de l’autre, ce qui permet aux joueurs d’entrer et de sortir du jeu entre les sessions, alors que la ville continue de progresser.
Nous sommes donc sur un jeu en campagne, où le nombre de joueurs peut varier d’une partie à l’autre et où l’on peut changer de personnage. Sa plus grande spécificité, à mon sens, est l’absence de victoire ou de défaite définies par le jeu. Vous ne perdrez pas de session, vous ne gagnerez pas la campagne : vous jouez, point.
Avant de voir si ce système fonctionne et si les promesses sont tenues, je vous propose un rapide tour d’horizon du jeu.
Le matériel
Le jeu vous propose 5 personnages, qui ont chacun leur tray, ainsi qu’un plateau central représentant la vallée composé de 3 plateaux que l’on colle l’un à l’autre.
Source: facebook (vous ne verrez pas de photo prise par mon tél, c’est un enfer)
En bas vous voyez 2 trays de personnages (fermier et aubergiste).
Au milieu, le plateau « vallée », avec les ressources du village à gauche, les bâtiments en cours de construction à droite (aucun ici) et en haut le tray commun avec les dés ouvriers, les pièces, les différentes cartes.
Déroulement d’une partie
Chaque partie correspond à une saison (classique : printemps, été, automne et hiver), et chaque saison est décomposée en 9 tours, appelés jours, eux-mêmes séparés en 3 phases : aube, journée et crépuscule.
Lors de la phase d’Aube, vous tirez une carte météo (pluie, nuage ou soleil), qui peut avoir un impact sur votre personnage, mais aussi déclencher la fabrication des bâtiments ou vous inviter à lire une carte « Evènement » qui vous raconte un peu la vie de la vallée et à divers effets.
Vient ensuite la journée :
- chaque personnage va faire une action dans le village : il s’agit là d’une mécanique de placement d’ouvrier (vous ne pouvez pas aller au même endroit qu’un autre joueur). Au départ, vous avez 5 lieux possibles, mais au fil des constructions, vous pouvez avoir le choix entre plus d’une quinzaine d’actions.
- puis les personnages font une action spécifique à leur personnage.
- enfin ils peuvent utiliser des ouvriers (soit des lutins, soit des villageois) pour faire des actions en plus
Au crépuscule, les personnages reviennent vers leurs trays, on libère les ouvriers épuisés, etc… c’est plus ou moins une phase de maintenance (même si ça dépend des personnages, pour certains c’est une phase avec des éléments de gameplay en plus).
C’est le moment de parler des différentes cartes :
- Evènement : c’est l’histoire du jeu, elles sont piochées lorsque le jeu vous dit de le faire. On pioche 3 évènements par saison. Sachant qu’il y en a plus de 150 dans la boîte de base, on a un paquet de saison à vivre avant d’en faire le tour (et avec le all-in gameplay, on en a environ 200).
- Aventures : une carte avec deux choix à faire, dont les conséquences ne sont pas connues lorsque vous choisissez l’une des options. Accessible via une action du village. Nous l’avons pas mal fait au début, mais parfois ça nous a mis en difficulté, et surtout on a maintenant tellement de bâtiment que cette pioche est peu utilisée.
- Météo : décompte des jours dans une saison
- Objectif : vous avez un objectif commun par saison. A la fin de la saison, si tous les joueurs l’ont atteint, le village gagne quelque chose. Ils sont plus ou moins difficiles selon le stade de développement des personnages.
Par exemple, nous avons eu un objectif « terminez la saison avec X pièces » : j’avais l’Aubergiste qui gagnait 25 pièces par tour, ma compagne jouait l’Artisane qui en gagnait 0, ça ne nous a pas impacté de la même manière (elle a passé sa partie a essayer d’atteindre le montant demandé, moi j’ai oublié l’objectif).
Inversement, certains sont atteints au moment où on les pioche, donc n’ont aucun impact sur la partie.
De la vallée à la ville
Tout au long des parties, nous allons construire des bâtiments dans la vallée, après avoir rasé les arbres (bonne ambiance). Pour les construire, il nous faut dépenser des ressources (les 4 curseurs sur la photo plus haut), puis ils iront en chaine de production (à droite), et enfin sur le plateau où ils seront actifs.
Les bâtiments ont des contraintes de construction qui fonctionnent comme un arbre de technologie, plutôt cohérent :
L’asymétrie des personnages, à quel point ?
Chaque personnage a son trays, une figurine et un livret de règles qui fait entre 25 et 40 pages environ. Il est fortement conseillé de le lire avant de jouer et je pense effectivement qu’il n’est pas idéal de se faire uniquement expliquer son personnage.
Les personnages ont, me semble-t-il, un seul point commun : ils ont accès à 10 compétences qui viennent booster leurs actions de base et qu’ils acquièrent selon des processus spécifiques. Tout le reste est différent. J’avais envie d’écrire qu’ils ont 5 actions de base chacun, mais ça n’est même pas tout à fait vrai.
Voici quelques explications, et le ressenti de ma compagne et moi-même sur chaque personnage :
Le fermier
Difficulté annoncée : 1/5
On est sur une mécanique de polyominos. Le fermier sème, arrose et récolte des fraises/haricots/patates dans son champ. Il a également un élevage de bovins qu’il peut faire reproduire mais qu’il utilise également pour manipuler des équipements (parfois de manière plus ou moins cohérente : il faut des bovins pour utiliser une charrue comme pour activer une ruche).
Notre ressenti : j’ai fait 3 parties du fermier, et ma compagne 1. Au début vous avez peu d’espace, car vos champs est en friche. C’est assez sympa de le défricher et de voir le champ monter en rendement grâce aux équipements que l’on achète. La partie polyomino n’est pas fictive : si vous agencez bien votre champ, vous économisez des actions et c’est satisfaisant.
L’artisane
Difficulté annoncée : 3/5
Ici nous avons du bag building. Vous utilisez des matériaux pour raffiner d’autres matériaux et, à termes, réaliser des objets. Plus vous craftez un objet, plus vous le vendrez cher.
Notre ressenti : 3 parties pour ma compagne, 0 pour moi. Amusant au début, puis gameplay assez répétitif. Au bout de 3 parties ma compagne en a eu marre.
Le garde forestier
Difficulté annoncée 3/5
Gameplay assez atypique : vous choisissez en début de journée si vous préparez une expédition ou si vous partez en expédition. Et une expédition peut durer jusqu’à 5 (voire 6) journées pendant lesquelles vous ne passez au pas village (et vous ne faites donc pas d’action village).
La mécanique d’expédition repose sur de la gestion de main.
De retour au village, vous pouvez vendre ce que vous avez trouvé ou le valoriser de différentes autres manières.
Notre ressenti : 1 partie pour moi. Difficile de juger en une seule partie mais j’ai beaucoup aimé. La gestion de main est toutefois peu prédictible (c’est con pour ce genre de mécanique) mais je pense que ça va grandement évoluer au fil des parties car le personnage a pas mal de moyens de mieux prévoir ses expéditions.
La marchande :
Difficulté annoncée : 4/5
Mécanique de gestion de marché : vous achetez et vendez des ressources selon un cours qui évolue. Vous pouvez même racheter l’affaire de vos rivaux !
Ressenti : on ne l’a pas encore jouée, nsp
L’Aubergiste
[Personnage de l’extension Nouveaux Horizons]
Difficulté annoncée : 2/5
Ici on joue aux sims : chaque jour des clients entrent dans l’auberge (jetons piochés au hasard dans un sac) et on tente de les satisfaire avec les aménagements de notre auberge (tables, bars, fenêtre, théâtre, restaurant, etc…). S’ils sont mécontents, certains (pas tous) peuvent faire détruire des aménagements, vous faire perdre de l’argent ou de la réputation, sinon ils rapportent de l’argent.
Vous pouvez aussi mettre des potins dans la pioche des cartes aventures, qui donnent des bonus lorsque piochées.
Notre ressenti : 2 parties pour ma compagne, 3 pour moi.
Je vais essayer d’être synthétique…
- Les potins, ça semblait une super idée au départ car ça permet d’avoir de l’interaction avec les autres joueurs : je mets des potins dans la pile aventure, tu les pioches, hop génial. On en a mis 4/6 lorsqu’il y avait 1 seule carte Aventure dans la pile. Puis un évènement nous a fait ajouter 10 cartes Aventures. Bon, ça les noie un peu mais pas grave. Puis on a construit des bâtiments, donc on ne part plus trop à l’aventure… Actuellement on a plus de 30 cartes dans cette pile, donc tchao les Potins.
- On a eu une partie 2 un peu galère (on fini là où on a commencé car des clients mécontents ont cassé l’auberge), puis ça a déroulé. Le personnage était maximisé à la 4ème partie. J’ai passé la 5ème partie à gagner 25-30 pièces à chaque tour sans avoir à réfléchir. Je termine donc la saison en achetant plus d’une vingtaine de ressources du Village (à 10 pièces/unité), ce qui semble ridicule puisqu’on pouvait acheter tous les bâtiments que l’on voulait. Aucun intérêt de rejouer ce personnage, après 5 parties (et, je le redis : le personnage ne s’est pas développé lors de la partie 2).
Durée de vie des personnages
Vous l’aurez peut-être compris dans le commentaire que j’ai fait pour l’Aubergiste, mais les personnages ont une « durée de vie » : passé un certain stade, vous ne pouvez plus les faire progresser. Et je pense que la durée du jeu est vraiment là, et pas dans les 150+/200+ cartes évènements. Parce que je doute de faire des parties lorsque mes personnages seront « terminés » juste pour lire les cartes restantes.
Après 7 parties donc, voici la durée de vie que j’estime pour chaque personnage :
- Fermier : moyenne (10+ parties a priori)
- Artisane : excellente avant de maximiser tout, mais on en aura marre avant, gameplay très répétitif
- Garde forestier : excellente (j’ai l’impression que c’est le seul personnage qui ne se maximise pas réellement)
- Marchande : bonne (uniquement via la lecture des règles)
- Aubergiste : très faible (3 à 5 parties)
Evidemment, ça reste une estimation.
Des promesses tenues ?
Voici une liste de ce que j’aime et ce que j’aime moins, qui répondra notamment aux promesses faites par l’éditeur. Tout ce qui suit n’engage que moi !
Ce que j’aime :
- L’asymétrie importante, j’ai testé 3 personnages en 7 parties et je n’ai pas eu le sentiment de jouer au même jeu, certains ont un sacré goût de « reviens-y » et ça donne aussi envie de tous les découvrir.
- C’est reposant, l’idée d’un gameplay sans pression fonctionne assez bien sur cet aspect (même si je vais approfondir dans « ce que j’aime moins »)
- Le jeu est vraiment beau, c’est pas un critère de base pour moi, mais je dois reconnaître que j’ai une certaine satisfaction à m’asseoir à la table avec Mythwind installé dessus. Probablement le plus beau jeu que j’ai (information qui ne vous sert à rien vu que vous ne savez pas ce que j’ai mais je tenais à le dire )
- L’optimisation du temps : 1 minute de mise en place, 1 minute de rangement. Le reste c’est du temps de jeu. C’est bluffant.
Neutre (je m’en fous mais ça peut en déranger d’autres) :
- Peu d’incitations à changer de perso : quand on a fini de mettre les 6 potins de l’Aubergiste dans la pioche Aventure, on change de personnage, le Fermier n’a pas de boost lors de l’hiver donc idem, mais ça reste très léger. D’un côté ça permet de ne jouer qu’un personnage, mais d’un autre, c’est pour moi un pan manquant du gameplay
- La mise en place/ le rangement en 1 minute a une conséquence : vous jouez dans les trays. Je pense que ça peut en rebuter plus d’un même si des efforts ont été fait pour cacher les rangements avec des plateaux.
- Vous êtes responsables de la narration. Ne comptez pas sur les cartes Evènements et Aventure pour vous raconter une véritable histoire. Tout au plus, elles plantent un décor, certaines ont un texte qui tient sur 2 lignes, c’est souvent très attendu. Le jeu n’est pas là de mon point de vue. Si vous voulez de la narration, il va falloir l’inventer.
- L’absence d’enjeux formalisés par le jeu peut le rendre peu excitant : quel est l’intérêt d’accélérer la production d’un bâtiment, si ça ne vous fait pas gagner ou perdre ? Pourquoi dépenser de l’argent ou des actions pour ça ? C’est un sentiment assez particulier.
Ce que j’aime moins :
- Un jeu solo à plusieurs : une bonne idée avec les Potins de l’Aubergiste mais trop peu exploité, la plupart des personnages ont peu d’interaction avec le jeu commun (une petite gestion de la pioche météo par ci, un boost de construction par là…). Pour moi c’est trop léger. D’ailleurs l’éditeur a fait le même constat puisque c’est l’axe principal de l’extension proposé dans la campagne de reprint (pas de VF confirmée à ce stade).
- Les bâtiments : la plupart des bâtiments donnent un effet “ok-tiers”, on les fait parce qu’on a des ressources à dépenser, mais ils ne nous apportent rien. Je n’ai ressenti aucune excitation à l’idée de construire tel ou tel bâtiment (pour l’instant). Et pour moi il y a un cruel manque de créativité sur les effets des bâtiments, la plupart ne sont absolument pas sexy.
Concernant la personnalisation de la ville, je me suis d’abord dit que, en ayant que 13 emplacements dans la vallée pour une 50aines de bâtiments, nous allions devoir faire des choix et que notre ville serait probablement unique. Toutefois, beaucoup de bâtiments sont uniquement des upgrades des précédents. Donc je doute fortement que notre ville soit différente de celle des autres joueurs en fin de partie.
In fine, nous avons construit 12 bâtiments à ce stade et je pense qu’il y en a 2 qui ont apporté quelque chose d’intéressant et ont modifié (un peu) notre manière de jouer. Le reste, c’est “more of the same”. - La faible “durée de vie” de certains personnages (finir l’Aubergiste en 5 parties, c’est beaucoup trop court).
- L’absence de compétition formalisée (contre le jeu ou contre les joueurs) rend difficile le fait de déceler les erreurs de règles, on ne se rend pas compte qu’on fait un truc pété. Un joueur a demandé sur le discord s’il était normal d’avoir acheté fini l’Aubergiste en une saison : a priori il y a eu méprise sur les règles. Évidemment ça existe pour n’importe quels jeux, mais là c’est vraiment plus difficile à déceler.
Pour conclure
Malgré ces constats parfois assez négatifs, j’ai envie d’y revenir, de jouer tous les personnages, de les développer au max, de découvrir l’histoire. Parce que la promesse d’un jeu cosy, qui se joue tout en détente, est tenue, en tout cas pour la phase de découverte.
Mais ce sera sûrement solo : les 7 premières parties ont eu raison de la patience de ma compagne, qui a du mal à trouver un intérêt au jeu. Par pour tout le monde donc.
Pour moi, Mythwind est un jeu pionnier, comme Dorfromantik l’année dernière : on vend une expérience de jeu atypique.
Mais ici, le statut de pionnier arrive avec un défaut attendu : il manque de finition. Certaines compétences des personnages semblent inutiles, des bâtiments sont useless, gros manque interaction entre les joueurs à l’exception de la gestion du village, qui demeure peu excitante…
Dorfromantik a réussi à proposer du challenge. Mythwind a réussi à proposer un jeu d’une autre envergure, d’une autre ambition.
J’espère qu’il a eu l’audace d’ouvrir une voie qui permettra aux éditeurs moins audacieux mais plus rigoureux d’approfondir un concept plaisant.
Voilà, j’ai l’impression de souffler le chaud et le froid dans ce CR, mais je crois que c’est à l’image du jeu.