Je lisais un truc
Oui c’est du Gus&Co, pas taper!
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Les dés sont jetés, et cette fois-ci, ce n’est pas pour jouer : l’industrie du jeu de société risque de devoir faire face à sa plus grande crise.
Un vent de panique commence à souffler sur l’industrie du jeu de société. Depuis la semaine passée et l’élection de Donald Trump comme président des États-Unis – il ne sera investi que le 20 janvier 2025 – les nouvelles taxes douanières que le futur président a annoncées menacent de bouleverser profondément notre passion commune.
Entre hausse des prix et risques pour la survie des éditeurs, décryptage d’une crise qui pourrait redessiner le paysage ludique. Et pas qu’aux US !
État des lieux
L’effet domino est implacable : avec 90% de la production mondiale concentrée en Chine, c’est tout l’écosystème du jeu de société qui se trouve menacé. Les chiffres donnent le vertige : si Trump fait ce qu’il a dit pendant sa campagne, il introduira une taxe universelle de 20% sur tous les produits importés, majorée d’une surtaxe allant jusqu’à 100% pour les produits chinois. Aux US, certes, mais cela va clairement avoir également un impact sur l’Europe.
Pour mesurer l’ampleur du séisme qui s’annonce, il suffit d’observer quelques indicateurs clés : neuf jeux sur dix sont actuellement produits en Chine, les prix pourraient augmenter de 60% à 120%, et un quart des boutiques spécialisées sont menacées de fermeture. Plus alarmant encore, les campagnes Kickstarter pourraient voir leurs coûts exploser, avec des taxes supplémentaires atteignant parfois 100 000$ pour un projet de 700 000$, le cas de la campagne KS Deep Regrets par exemple, comme explicité dans les commentaires par l’éditeur.
Dans les coulisses de l’industrie
Meredith Placko, PDG de Steve Jackson Games, a récemment brisé le silence dans une lettre ouverte qui résonne comme un cri d’alarme. « La réalité que de nombreux propriétaires d’entreprises du secteur manufacturier affrontent actuellement n’a rien d’une fiction ou d’un conte moral », affirme-t-elle. Son témoignage, publié le 10 novembre 2024, lève le voile sur les défis quotidiens auxquels font face les éditeurs.
« Ces derniers jours, j’ai eu de longues discussions avec mes représentants d’usine, calculant méticuleusement les quantités à commander maintenant pour compenser les coûts futurs », explique-t-elle. « Nous explorons également les possibilités de délocaliser la production hors de Chine, mais c’est un véritable casse-tête : très peu d’endroits en dehors de la Chine ou de l’Europe peuvent produire des composants de jeux de société à l’échelle dont notre industrie a besoin. »
La situation est d’autant plus critique que les coûts de transport explosent déjà. « Nous payons des frais de transport extrêmes, qui ne feront qu’augmenter avec la demande. La dernière fois que des tarifs ont été imposés sur les produits fabriqués en Chine, les coûts de transport ont grimpé en flèche », souligne-t-elle.
Du prototype à votre table
Prenons l’exemple concret d’un jeu vendu aujourd’hui à 50€. Avec les nouvelles taxes, son prix pourrait atteindre 80€, voire 100€. Cette augmentation massive créé une réaction en chaîne dévastatrice. Les créateurs indépendants, premiers maillons de cette chaîne, voient leurs projets menacés par des coûts de production exponentiels.
Les éditeurs, confrontés à des choix drastiques, devront repenser leurs gammes et leurs stratégies de production. Les distributeurs, face à des marges réduites, pourraient être contraints de revoir leur catalogue. Les boutiques spécialisées, en première ligne, craignent une chute drastique des ventes. Et au bout de la chaîne, nous, les joueurs et joueuses, devrons peut-être revoir nos habitudes d’achat.
Cette situation est sans précédent. Même pendant la crise du Covid, nous n’avions pas anticipé un tel impact sur les prix. C’est tout l’équilibre économique du secteur qui est remis en question. Les jeux complexes avec de nombreux composants pourraient devenir des produits de luxe.
Le spectre de la disparition
L’impact de ces tarifs douaniers pourrait aller bien au-delà d’une simple hausse des prix. Un scénario plus inquiétant se dessine : la disparition pure et simple de certains éditeurs américains et de leurs jeux emblématiques.
Les petits et moyens éditeurs américains, qui constituent le cœur créatif de l’industrie, sont particulièrement menacés. Non, il n’y a pas que Asmodee (Embracer) et Hachette (Bolloré) dans la cour. Beaucoup d’entre eux fonctionnent avec des marges déjà très réduites. Une augmentation de 60% des coûts de production serait tout simplement insurmontable pour eux. Nous pourrions voir disparaître de nombreux éditeurs indépendants dans les deux années suivant l’application des tarifs.
Cette situation pourrait entraîner la perte définitive de certains jeux. Quand un éditeur fait faillite, ses droits de propriété intellectuelle peuvent rester bloqués pendant des années dans des procédures juridiques. Des jeux appréciés pourraient ainsi devenir indisponibles pendant une longue période, voire définitivement.
Kickstarter : la fin du rêve américain ludique ?
Le modèle Kickstarter, qui a révolutionné l’industrie du jeu cette dernière décennie, pourrait être l’une des principales victimes de cette crise. L’exemple de Judson Cowan et son jeu « Deep Regrets » est révélateur : une taxe supplémentaire de 100 000$ pourrait transformer un projet viable en catastrophe financière.
Le problème avec Kickstarter, c’est que les créateurs calculent leurs coûts et leurs marges au moment de la campagne. Si les tarifs changent entre la campagne et la livraison, c’est toute l’équation économique qui s’effondre. Nous pourrions voir des projets financés ne jamais voir le jour, simplement parce que les créateurs ne peuvent plus assumer les coûts de production.
Les conséquences pourraient être durables :
- Des créateurs renonçant à lancer leurs projets sur le marché américain
- Une réduction drastique des projets ambitieux en termes de composants
- La fin des « stretch goals » impliquant des composants supplémentaires
- Un repli des créateurs vers des marchés plus prévisibles
Un patrimoine ludique menacé
Au-delà des aspects économiques, c’est clairement tout un patrimoine culturel qui est menacé. Chaque éditeur qui disparaît emporte avec lui non seulement ses jeux publiés, mais aussi tous ceux qui étaient en développement. Ce sont des années de créativité, d’innovation et de passion qui pourraient être perdues.
Cette situation pourrait paradoxalement profiter aux géants de l’industrie. « Les grands groupes comme Hasbro, Hachette (Scorpion Masqué, La Boite à Jeux, Sorry we are French, Studio H) ou Asmodee (Libellud, Space Cowboys, Days of Wonder, Repos Prod, Plan B) ont les reins assez solides pour survivre à cette tempête. Ils pourraient même en profiter pour racheter les propriétés intellectuelles d’éditeurs en difficulté. Mais cela signifierait une standardisation accrue de l’offre, moins de prise de risque créative, moins de diversité.
Quelles alternatives pour l’industrie ?
La question de la délocalisation vers d’autres pays se pose naturellement, mais les solutions ne sont pas évidentes. Le Vietnam et l’Indonésie, souvent cités comme alternatives, disposent d’infrastructures encore limitées et peinent à répondre à la demande croissante. L’Europe de l’Est, malgré son savoir-faire, implique des coûts de production significativement plus élevés. Quant à la production plus locale, les capacités actuelles sont largement insuffisantes pour absorber ne serait-ce qu’une fraction de la production chinoise.
Les conséquences de cette crise pourraient transformer profondément la nature même des jeux que nous connaissons. Les éditeurs seront probablement contraints de simplifier les composants de leurs jeux, privilégiant des formats plus modestes et des productions plus économiques. Cette évolution pourrait paradoxalement stimuler l’innovation, avec un développement accru du print & play et des versions numériques. Les auteurs et autrices devront faire preuve d’ingéniosité pour maintenir la qualité ludique tout en composant avec ces nouvelles contraintes économiques.
Une crise porteuse d’opportunités
Face à cette situation inédite, les collectionneurs devront sans doute repenser leurs habitudes. Il devient crucial d’identifier ses priorités d’achat et d’anticiper les dernières éditions avant la hausse des prix. Le marché de l’occasion pourrait connaître un nouvel essor, offrant une alternative intéressante pour les passionnés (comme nous).
Les joueurs et joueuses occasionnelles, les « casual », comme on dit dans le milieu, quant à eux, auraient tout intérêt à privilégier des jeux à forte rejouabilité et à s’investir davantage dans les communautés locales. Les soirées jeux, les bars à jeux (comme le nôtre ?) et les ludothèques pourraient retrouver une place centrale dans nos pratiques ludiques.
Paradoxalement, cette situation pourrait catalyser des évolutions positives pour le secteur. Les communautés locales pourraient se renforcer, créant un tissu social plus dense autour du jeu. Les circuits courts pourraient se développer, favorisant l’émergence d’auteurs, d’autrices et d’éditeurs locaux. Les modèles économiques vont nécessairement évoluer, peut-être vers plus de durabilité et d’innovation. De nouveaux formats ludiques pourraient voir le jour, adaptés à ces nouvelles contraintes. Moins, mais mieux !
En conclusion
Si la situation actuelle inquiète légitimement, elle ne signifie pas la fin du jeu de société. Au contraire, elle pourrait marquer le début d’une nouvelle ère, plus locale, plus innovante, plus communautaire. Comme dans tout bon jeu de stratégie, les obstacles peuvent devenir des opportunités. La partie n’est pas terminée, elle entre dans une nouvelle phase qui exigera de tous les acteurs du secteur adaptabilité et créativité.
Les éditeurs devront repenser leurs modèles de production, les auteurs et autrices adapter leurs créa, les boutiques réinventer leur offre, et nous, joueurs, joueuses faire évoluer nos pratiques. Mais n’est-ce pas justement ce que le jeu nous a toujours appris : savoir s’adapter, innover, et transformer les contraintes en opportunités ?
N’empêche, avec ces annonces de Trump, c’est une sacrée tuile pour toute l’industrie du jeu de société. Dans ce grand jeu de l’économie mondiale, il semblerait que personne n’ait tiré la carte « Chance » !