Je vous propose un petit retour d’expériences avec quelques parties sur le jeu.
[Avis sur Expéditions]
Scythe a été un énorme succès pour Stonemaier. 4X (oui, je sais, c’est débattable) réputé ayant épuisé le capital temps de plus d’un joueur, il est normal de voir la boite d’édition proposer une suite. Situé dans le même univers, mais se jouant pourtant complètement différemment, quel est donc ce nouvel objet ludique ? Et surtout, cela vaut-il le coup de l’acheter ? C’est ce que je vais tenter d’expliciter maintenant.
Kesako ?
Expéditions c’est avant tout un mélange des genres. Nous sommes dans du deckbuilding avec un peu de tableau building, de la gestion de main, de la pose d’ouvrier sur un plateau modulaire.
Nous y incarnons des héros de guerre (vous savez, celles que vous avez livrées dans Scythe) qui voit dans la chute d’une météorite en Sibérie une opportunité en or : l’occasion de retrouver la gloire d’antan en exploitant au mieux ces nouvelles terres à explorer.
Comment on y joue ?
C’est extrêmement simple. Oui, je sais, je le dis à chaque fois. Ma femme me dit que ce n’est pas bien, parce que si on ne trouve pas ça simple finalement, on a peur de passer pour un con. Enfin, je digresse.
Sur le plateau composé d’une myriade de cases, chaque joueur a un mécha. À son tour, le joueur devra la majorité du temps sélectionner 2 actions parmi 3, les effectuer, puis passer la main. Il sera possible de déplacer son mécha vers une autre case, récolter l’effet de la case sur laquelle nous sommes où jouer une carte. Voilà tout (je vous ai dit que c’était simple).
Il pourra aussi « passer » son tour, ce qui lui permettra de récupérer toutes ses cartes jouées dans sa main.
On retrouve du coup une première boucle de gameplay que l’on peut retrouver dans d’autres jeux du genre : on va dépenser un maximum de ressources sur le plus de tour possible jusqu’à être obligé de remettre à 0 son jeu, puis recommencer.
Le plateau quant à lui suit une logique qui a du sens : divisé en trois zones, les joueurs auront directement accès à des actions simples sur la première, devront explorer (et donc retourner les cases) de la seconde zone pour y trouver des actions plus dramatiques, et faire de même pour la dernière zone qui contient des actions nous rapprochant d’autant plus vite vers la victoire.
Grâce à ce plateau, il sera possible de récupérer des cartes, mais aussi (et surtout) d’effectuer des actions spéciales permettant de glisser des cartes sous son plateau, symbolisant un exploit, étape obligatoire vers le statut de légende. Il sera possible d’améliorer des objets, fondre des météorites, accomplir des quêtes, représentant respectivement différent type de carte. Il est à noter aussi que chaque case des niveaux avancés contient de la corruption, qu’il sera possible de combattre pour obtenir un peu plus de gloire.
Voilà pour la présentation générale du jeu, passons maintenant à la raison pour laquelle j’ai écrit tout ça.
Est-ce bien ?
La direction artistique
Bon, ce qui tape directement dans le fond des mirettes, c’est évidemment le style graphique du jeu. Je suis persuadé que les illustrations de Jakub Rozalski furent prépondérantes dans le succès de Scythe, et il en ira certainement de même pour Expéditions. C’est maitrisé, le style est travaillé mais sa qualité repose avant tout sur sa force évocatrice ; la plupart des dessins titillent l’imagination et nous donnent envie d’en savoir plus sur l’univers, quitte à se l’inventer. Cela répond exactement à la thématique de l’uchronie. On identifie un paysan dans un champ de blé, et au loin, l’épave d’un robot géant, en total rupture avec le bucolique de la scène, rappelle à une partie de notre esprit que même si le monde dépeint ressemble au notre il s’agit bien d’une autre réalité.
La mécanique ludique
Enfin, je m’extasie sur les traits de l’artiste, mais ce n’est pas là le cœur du jeu. Si pour moi Expéditions est une réussite (spoiler alert), c’est parce qu’il repose sur un ensemble de mécaniques solide et cohérent, donnant exactement au joueur ce qu’il cherche à lui donner.
Partir en expédition n’est pas une promenade du dimanche ; il s’agit avant tout d’une course de tous les instants. Les interactions entre les joueurs sont très indirectes. Chaque joueur doit atteindre 4 objectifs parmi les 7 possibles. Une fois cela fait, la partie prend fin sur un ultime tour. Et c’est tout. Le jeu nous force donc à avoir un oeil constant sur ce que notre adversaire est en train de faire. Certaines ressources sont limitées, il faudra donc opérer prestement pour ne pas se les voir happer par un adversaire plus rapide. Cette pression constante fait tout le moteur du jeu : on cherche du coup à optimiser chacun de nos tours, chacun de nos coups, car sinon cela peut aboutir à un retard qu’il sera impossible de rattraper sur la fin de partie.
Cette course est nourrie par une boucle de gameplay réussie. L’aspect central de son jeu, ce sont les cartes. Elles ont différents types et différents effets, mais surtout elles peuvent toutes servir à remplir un des objectifs du jeu. Le problème, c’est que si on veut utiliser une carte pour s’accorder des points de victoire, on la perd, il ne sera donc plus possible de la jouer.
Encore une fois, dans une optique d’optimisation maximale, notre jeu va souvent se faire et se défaire ; on va gagner des cartes qui « combotent » bien entre elles, on va exploiter un maximum ces combos, puis on va les sacrifier pour nous rapprocher de la victoire, avant de recommencer, tout ou en partie.
On n’a pas vraiment le temps de construite un moteur ; le jeu va avancer à coup d’opportunités qu’il faudra exploiter au maximum. Cela peut lui donner un aspect légèrement chaotique qui plaira moins à ceux cherchant une expérience plus calculatoire. Cela reste tout de même cohérent avec l’aspect course, moins de chaos aurait aussi voulu dire moins de possibilités de prendre de la vitesse pour rattraper les beaux coups de nos adversaires.
Le jeu propose une belle variété en terme d’action, il sera possible de mettre en place des stratégies bien différentes et personnalisées en cours de partie. Mais c’est sur cette qualité que se repose le premier vrai défaut du jeu : bien que l’ensemble des mécaniques soit élégant, ces dernières peuvent manquer d’une certaine créativité. Les stratégies du jeu à développer sont en réalité des silos qui interagissent peu entres eux. Cela peut donner un aspect « inventaire » au déploiement de son jeu, qui du coup manque de l’inventivité maline que l’on retrouve dans les grands jeux.
La thématique
Il reste que ce défaut me semble trivial à côté du réel problème de l’oeuvre : une thématique en décorrélation de son gameplay. Comme dans toutes les oeuvres artistiques avec un univers marqué, si on veut parler facilement aux spectateurs il est possible de se reposer sur une base culturelle relativement commune. Par exemple, si je vous dis « film de cowboys avec des zombies », vous savez certainement à quoi ça va ressembler. Et du coup, en matant le film, vous aurez certaines attentes qui vont faciliter votre immersion dans ladite oeuvre. Bien entendu, aux créateurs et créatrices de tromper nos attentes, et de ne gagner du temps que sur certains aspect de leur création pour trouver une originalité dans d’autres ; mais il est certain que dans votre tête vous voyez déjà un soleil tapant sur une petite ville du far west avec un sheriff dézinguant un mort-vivant grognant grâce à son six coups.
Une œuvre peut évidemment reposer sur un univers complètement original, mais dans ce cas là un soin particulier devra être apporté à la cohérence de l’univers dépeint ; le spectateur va ressentir une première difficulté naturelle à s’immerger dans la nouveauté, à l’artiste de donner des détails et de la matière dans un rythme maitrisé pour emporter ce premier le plus loin possible.
Donc maintenant, si je vous dis « viens, on va dans un site de chute de météorite dans une union soviétique uchronique steampunk au sein de nos méchas pour faire fondre des cailloux de l’espace et embaucher des zombies (yep), tout ça pour devenir une célébrité », vous n’allez peut-être pas me dire « oui » tout de suite. Il faudra d’abord que je vous explique. Et c’est un truc que le jeu ne fait pas forcément très bien ; il aurait certainement gagné à garder son univers original en le complétant d’une narration plus classique. Mais c’est peut-être dans sa volonté de se greffer dans l’univers de Scythe que le jeu pèche.
Le solo
Une fois n’est pas coutume, concluons par le solo. Il extrêmement efficace et très simple d’accès. Comme on a l’habitude de le voir dans les jeux de Stegmaier, nous allons affronter un automa incarné par deux méchas et un paquet de cartes. Au tour de l’automa, il faudra résoudre une carte qui comportera les actions de chaque mécha. C’est tout.
Très fidèle à l’aspect course du jeu, il est possible de jouer avec plusieurs niveaux de difficulté qui vont en réalité déterminer la vitesse des méchas : plus la difficulté est élevée plus les méchas opéreront à grande vitesse. Ils vont principalement siphonner les ressources limitées sur la carte avant de déclencher la fin de partie plus ou moins rapidement. Ce sera évidemment au joueur de les prendre de vitesse, et de mettre fin à la partie selon ses propres termes.
Ca fonctionne du tonnerre, on retrouve un plaisir très similaire à celui du multijoueur, et c’est tout ce qu’on demande.
En résumé ?
Expéditions c’est un peu une petite pépite météoritique. Fascinante et surprenante, la boite n’est néanmoins pas exempte de petites impuretés qui viennent entacher la jolie trouvaille, comme une thématique plaquée à la truelle. Il reste que manipuler la jolie pierre est un plaisir ; le jeu repose sur un tissu mécanique d’une belle élégance qui demandera d’être maintes fois exploré avant de faire le tour de tous ses détails. Et si à cela on rajoute un solo d’une belle facture, alors rien ne sert d’hésiter : Expéditions est une réussite.