De toute façon ces statistiques sont à affiner, déjà il faut savoir comment a été réalisé méthodologiquement ce sondage (par questionnaire j’imagine). Et il faut faire très attention quant à leur interprétation sur un plan politique. Quand on dit 70% du vote musulman chez LFI, c’est parmi les musulmans qui votent. Et il faut partir du principe qu’un vote est multifactoriel. Les musulmans sont surreprésentés dans les classes populaires, qui ne votent donc probablement pas que parce qu’ils sont musulmans, mais aussi pour des raisons purement matérielles.
Donc au delà de ça, il est fort à parier qu’un musulman chef d’entreprise, ne correspond pas à la même catégorie sociologique du vote, nonobstant ses croyances. Un groupe social quel qu’il soit est pluriel, et il faut faire très attention à la façon qu’on a d’interpréter les raisons des habitudes de vote.
Pourtant, en politique, la recherche des communautés est une part essentiel du travail de prospection. C’est pas un secret, toute personne qui s’est retrouvée de près ou de loin à faire de la com politique a pu le constater. Il y a des éléments clairement adressés à certaines ethnies, groupes sociaux, régions, tranches, classes, ages, religions etc. C’est comme un grand puzzle avec des aimants, si tu pousses d’un côté tu repousses de l’autre. Et pour un conseiller en com, le travail va consister à trouver un découpage aussi efficace que possible, sachant que la décision peut se faire sur une seule parole, acte, déplacement ou quoi que ce soit (de préférence répétée en boucle).
Ainsi, en 2022, Mélenchon / LFI a clairement joué la carte de la communauté islamique. Tout comme Zemmour s’est retrouvé avec une part inattendue des juifs votant (oui, c’est pas évident à comprendre).
Après, ce sont des estimations. Pas des normes (genre, il ne serait sinon pas facile d’expliquer les intentions de votes en faveur de Le Pen d’une part surprenante des LGBT). Mais ça reste bien assez précis pour être efficace. Et, surtout, orienter le discours de chaque candidat en fonction de son impact potentiel au sein, de chaque communauté. Le storytelling si cher aux spin doctors.
(et ce n’est pas non plus nouveau. Les 2 et 3e Rép. sont remplis d’épisodes de ce genre où des partis entiers se déplacent sur l’échiquier politique au gré des saisons et tendances)
Il n’y a pas que LFI. J’ai dit qu’ils sont rares. Et les votes des français, de façon générale, étaient globalement répartis entre LFI/LREM (ils étaient pas renommés encore si?)/RN.
Les partis les moins islamophobes sont à gauche, et vu le score cumulé du PS/NPA/LO/PCF/EELV, ça aurait été vraiment communautaire pour le coup si l’un de ces partis avait reçu 70% des voix d’un groupe, quelqu’il soit…
Oui mais comme tu le dis c’est de la com politique, elle se base sur des éléments grossiers de sociologie du vote, mais dans une vision plus utilitariste de cette dernière, pas scientifique.
Et d’ailleurs c’est un problème, parce que les médias font pas le job pour tenter de décrypter tout ça, quand on te dit dans le journal que 70% des musulmans votent LFI, sans rien contextualiser, sans expliquer le dessous des cartes à la manière d’un vulgaire bandeau BFM, ben ça permet aussi d’essentialiser le vote d’une population donnée, et assez souvent ça crée des effets de stigmatisation (le fameux épisode de l’islamo-gauchisme).
C’est, à mon avis, une autre étape. Que 70% (je prends le chiffre parce qu’il a été cité, pas vérifié s’il était correct ou pas) des musulmans ont voté LFI à une élection est un fait (encore une fois, je n’ai pas vérifié, pas vraiment intéressé par ce genre de chiffre -et je précise, des fois que : je trouve ce chiffre étrangement élevé; donc je soupçonne qu’il soit en fait l’expression d’une autre stat…).
L’essentialisation en est une autre qui ne change rien au fait. Et qu’on peut totalement, pour éviter ce biais, rapprocher des votes d’autres groupes sociaux ou même des motivations du vote - ainsi, dans le cas de Melenchon, les divers études donnaient un peu plus de 50% de vote utile, de rejet, protestation etc. (en supposant que ça se recoupe pour des personnes de conviction musulmane comme pour l’ensemble des votants, ce qui est amha très probable).
Est-ce aux médias de faire dans le détail ? Selon quelles grilles d’analyse ? On pourrait aussi bien incrimer le système éducatif qui ne forme pas réellement à l’analyse statistique (mais, au final, on en arriverait de toute façon à expliquer que les gens n’ont pas le temps ni l’envie^^).
Euh, je suis prof de maths et j’en enseigne de l’analyse statistique. Mais là, si un média te balance un pourcentage sans plus de contexte, ça n’a rien à voir avec le système éducatif et/ou le temps ni l’envie.
C’est surtout un média qui ne fait pas son boulot correctement. Tout dépend si ce média a pour objectif d’informer son public ou d’influencer son public… BFM/RMC/Cnews et cie, c’est vous que je regarde !
Ca a pourtant tout à voir avec l’éducation aux médias. C’est un sondage. Y’a pas de contexte à donner autre que « 70 % des personnes interrogées se définissant comme musulmanes affirment avoir voté LFI au premier tour de la présidentielle ». Et bien sûr faire mention, mais c’est normalement systématiquement fait, de la méthode utilisée (quotas généralement), de la taille de l’échantillon, de la période du questionnaire, etc.
Après, est-ce qu’il est intéressant de diffuser au grand public des sondages ? J’ai pas un avis tranché là dessus (je penche plutôt vers le non). En revanche, je mets ma main à couper que quand un sondage ne heurte pas votre sensibilité, vous n’en avez rien à cirer du « contexte ». Et qu’on me fasse pas dire ce que j’ai pas dit : c’est intéressant, d’essayer d’analyser les multiples facteurs qui peuvent expliquer le résultat d’un sondage, hein.
C’est bel et bien au récepteur du sondage d’utiliser son esprit critique face à un sondage qui n’est rien d’autre qu’une donnée brute. La question c’est : qu’est-ce qu’on en fait ? Vous savez très bien que 99 % des gens qui vont recevoir la donnée n’en ont strictement rien à foutre de sa mise en perspective (qu’il n’écouteraient pas si elle existait) à partir du moment où elle confirme leurs préjugés (biais de confirmation). Et que si, à l’inverse, la donnée les bouscule dans leurs préjugés ou qu’elle dessert leur idéologie, ils seront prompts à la relativiser (ce qu’il faudrait en réalité systématiquement faire).
Peu importe, en réalité, que la publication du sondage soit accompagnée de moultes mises en perspectives. Le résultat final sera toujours le même : des mecs récupéreront des jpg avec le graph/chiffre qui conforte leur discours et l’utiliseront sans contexte comme un argument d’autorité, sans même vérifier, d’ailleurs, ne serait-ce que l’existence réelle du sondage (en remontant à la source, qui devrait toujours être linkée).
Justement est ce que partir de l’idée qu’un sondage n’est qu’une donnée brute n’est pas un problème d’angle de la part des médias en règle générale ?
Moi je pense qu’en école de journalisme on apprend pas réellement à décrypter ces données, et qu’on se contente justement de lire le chiffre, sans en détailler le contexte sociologique ou de façon très sommaire.
Et puis bon, on pourrait en effet se poser la question de l’utilité du sondage, mais on ne peut pas nier qu’ils sont aussi là dans un but de fabrication de l’opinion. (Lire ou relire le texte de Bourdieu sur la question).
Quand tu vois que c’est marqué en tout petit « profil des abstentionnistes » en bas du machin tu sens que c’est encore du bon gros doigt mouillé comme sait si bien le faire l’industrie sondagière. Qui garde ses recettes secrètes pour « éviter tout espionnage industriel » (défense de rire).
Mais tu veux que les journalistes soient sociologues en fait ? Tu imagines bien qu’un journaliste, même spécialisé sur les questions sociales, par exemple (et encore, y’a plus tant que ça de journalistes « spécialisés » dans les rédactions), ne va produire l’analyse d’une donnée brute que pourra produire un expert comme un chercheur (et de toute façon, d’un chercheur à l’autre, en fonction de ses biais idéologiques…) ? Donc il va diffuser la donnée brute, le plus mise en perspective possible, mais dans le cas d’un sondage sur le vote selon la confession, tu penses bien que la mise en perspective va être superficielle. Et que de toute façon, même si plein de warnings sont mis, voici ce qu’il en restera, cf mon message au dessus :
des mecs récupéreront des jpg avec le graph/chiffre qui conforte leur discours et l’utiliseront sans contexte comme un argument d’autorité, sans même vérifier, d’ailleurs, ne serait-ce que l’existence réelle du sondage
Le problème n’est pas d’apprendre à décrypter des sondages mais d’apprendre à utiliser de manière pertinente son esprit critique. Je ne sais pas quel est le contenu des cours des « grandes » écoles de journalisme (tu le connais, toi, ou tu fantasmes ?) mais de toute façon, au bout du compte, c’est comme partout : si tu as appris une méthode à l’école et que ton employeur te dit de faire l’inverse, tu fais quoi ?
Je parlais d’esprit critique : ne le prends pas du tout comme une attaque, @FericJaggar (ça concerne globalement tout le monde), mais le graph que tu commentes, est-ce que tu sais d’où il vient, qui l’a produit ? Pas le sondage lui-même, hein, le jpg qui a été partagé ici et que tout le monde commente en fonction de ses affinités idéologiques. Qui a fait cette image (et donc écrit la mention que tu critiques) ? L’institut de sondage ? Un média qui a repris la donnée ? … ou peut-être même ni l’un ni l’autre, comme le suggère ce petit « @ » en bas de l’image ? Et qui sait, peut-être même que ce « @ » a un message à faire passer en « produisant » ce jpg ?
Au passage, le sondage en question, si on prend la peine de le cherche à la source, est beaucoup plus intéressant que ce graph dont on peut faire dire tout et n’importe quoi (ici, page 7 du doc)
C’est vrai. Y’a vraiment des gens qui pensent que ça a une valeur scientifique ? Ils vendent de l’étude d’opinion pour des clients qui commandent des études d’opinion. Cela reflète des tendances, rien de plus. Ca n’explique rien, par nature.
Est-ce alors réellement une information qu’il est utile de porter à la connaissance du public ?
Présentée comme tu le fais, j’ai un gros doute.
J’ai plutôt l’impression que ce n’en est pas une et que l’objectif réel est de justifier l’angle d’attaque d’un sujet de la rédaction.
Et de s’économiser un travail plus en profondeur.
C’est ici surtout l’aspect vote « catho » qui est étudié (avec des résultats intéressants, d’ailleurs; on en arriverait presque à souhaiter qu’il y ait plus de pratiquants plus réguliers^^). Les autres religions sont sagement non-ventilées.
Je me doute bien que les données plus détaillées sont aussi dispo mais n’ont pas fait l’objet d’une mise en avant par Ipsos. On est donc bien, du coup, dans un cas où la donnée (pour peu qu’elle existe) est volontairement mise en avant par le media (peu importe les raisons)
Ah mais je partage ton doute hein, je l’ai même exprimé plus haut.
Reprenons depuis le début. Je parlais d’éducation aux médias, c’est un cas d’école, si je puis dire. La donnée sur les musulmans vous a été amenée via un jpg, à partir duquel vous réagissez. La donnée existe, elle vient d’un sondage Ifop. Mais qui a fait le graph sur lequel vous réagissez, soit pour dire « vous voyez bien que les musulmans votent Mélenchon », soit pour en tirer des conclusions sur le fonctionnement des médias ? Pouvez-vous m’affirmer : cette image a été diffusée telle quelle, sans contexte, en ciblant spécifiquement les musulmans, par l’institut de sondage (ou par un média) ? Et si la réponse est non, qui l’a fait et quel est son objectif (pas besoin de chercher beaucoup) ?
Maintenant que sait-on ? Que c’est un sondage commandé par La Croix à l’Ifop sur le vote au premier tour par confession. La logique veut donc que ce soit La Croix qui en a exploité les résultats en premier (et a eu le temps de le faire). Ils en ont fait plein d’articles : ici centré le vote catho (c’est le coeur de cible de La Croix), mais aussi tout un dossier approfondi sur le vote musulman. Y’en a même un spécifiquement sur l’explication mutlifactorielle. Ce sera pas un taf de sociologue, évidemment, mais je pense que la mise en perspective est là. Et s’ils ont fait un focus sur le vote musulman, c’est qu’ils ont identifié un angle, un vrai sujet.
Après, est-ce que des médias (et je parle de médias, pas de militants sur Twitter) ont repris en masse juste l’info sur le vote musulman et titré dessus ? Peut-être, mais c’est pas ce que je constate avec une rapide recherche.
En résumé, je considère ici qu’il y a autant « faute » de la part de celui qui émet un « document » dont il ignore l’origine que de ceux qui la commentent (sur le plan de l’esprit critique).
Qu’ils aient des bases, oui. Et je crois que c’est pas trop demandé vu la responsabilité qu’ils ont quand ils traitent de données auxquelles ils ne comprennent rien.
Tu noteras quand même que le graphique d’origine est sourcé IPSOS (dans son étude habituelle post élection) et pas IFOP (qui a apparemment, lui, bien été commandité par La Croix pour analyser les votes par confession)